Le bouclier des invincibles…

Ça aurait pu commencer comme un conte de fées et le sempiternel : il était une fois …
Oubliant les princes charmants et les belles au bois dormant, on se serait dirigé vers une petite ville peuplée d’irréductibles joueurs qui résiste encore et toujours à l’envahissement du recrutement extérieur.

Et cette peuplade de jeunes joueurs s’est mise à rendre la vie difficile aux autres équipes de sa génération, de Biarritz à Toulouse, de Castres à Brive, allant même casser du pruneau à Agen.
C’est l’histoire de ce conte sans fées que je vais vous raconter, à la fin, on ne sait pas encore s’ils auront beaucoup d’enfants, mais ce dont on est sûr, c’est qu’ils seront très heureux et ils le seront encore très longtemps.

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1 – La genèse

 Pour reprendre la genèse de cette histoire, plaçons le curseur de notre aventure aux calendes du mois d’août 2022, quand le soleil frappe fort et que l’idée de la plage est beaucoup plus attirante qu’un terrain perdu au bord d’une rivière traînant sa langueur estivale.
Sauf que ce terrain perdu, il est situé au stade de La Floride, lieu emblématique de l’AB Rugby Formation, et que la rivière languissante, c’est la Nive, le cours d’eau qui borde les quais joyeux de Bayonne.
Le lieu étant posé, il nous reste les hommes, ceux qui font et défont les histoires au long cours.
Un duo d’entraîneurs, Sébastien (Belascain), Bruno (Campos), ils ne se connaissent pas, ils vont apprendre à se découvrir, à s’apprécier et surtout à bien travailler ensemble.

À ce duo, ajoutons les dirigeants bénévoles, toujours prêts à rendre service, voire à anticiper les demandes des entraîneurs ou des joueurs.
D’ailleurs, ce sont peut-être eux, les fées de cette histoire, avec pour baguettes magiques leur bonne volonté et leur empathie envers les joueurs.

Ces hommes, ce sont : Gérard, Jean-Claude et Serge.
Enfin, on trouve les joueurs, un groupe d’une bonne trentaine de gamins de 13/14 ans qui laissent la plage aux adorateurs du sable et préfèrent l’herbe d’une Floride basque, qu’elle soit naturelle ou synthétique.

C’est un groupe à l’identité régionale, issu en partie de l’école de rugby de l’AB (14 joueurs) auquel s’ajoute le meilleur du cru.
L’alchimie est à créer et, comme pour Rome, ça ne s’est pas fait en un jour. Chaque entraînement, chaque match furent des marches à gravir pour progresser et aller vers une histoire dont on ne dessinait pas encore bien tous les contours.
Les débuts furent perfectibles, tendant toujours vers le mieux, identifiant les manques et adaptant les réponses adéquates ou les postures idéales.

– Le jeu au pied était à l’état empirique, c’était juste l’alternative de la dernière chance.

– La notion de combat était vague, il fallait sortir de l’enfance et rappeler que le rugby est certes un jeu d’évitement, mais qu’avant tout il fallait savoir gagner ses duels avec l’agressivité nécessaire.

– La défense ne savait pas qu’il y avait des repères communs à travailler, des connexions à développer et des compensations à mettre en place.

Petit à petit, tout s’est mis en place, les pièces se sont imbriquées les unes dans les autres créant le tableau d’une équipe qui va briser son cocon et libérer la chrysalide de son jeu pour devenir papillon de lumière.

Les entraîneurs ont validé chaque étape, vérifiant plutôt deux fois qu’une la solidité des acquis et leurs mises en situation lors des matchs ou des entraînements.
Dans une poule compliquée, d’où vont sortir les deux futurs finalistes (Castres et Toulouse), les Bayonnais finissent quatrièmes et 15ᵉ qualifiés et joueront donc contre le 2nd national.
En 1/8ème de finale, ils sont opposés à Aix-en-Provence et devant une équipe maousse costaud, ils se qualifient en pratiquant un rugby alerte, plein de vivacité et de talent sur le point d’éclore.
Lors du ¼, ils retrouvent Castres, contre qui ils avaient perdu deux fois en poule durant la saison, et on le sait depuis le fin fond des adages: jamais deux sans trois !!
Ils ont perdu contre le futur champion Gauderman, défait de 4 points (25-21), rien de déshonorant de perdre contre une belle équipe avec déjà des talents affirmés en son sein.
Mais les joueurs ont été meurtris par cette défaite, certains en larmes, d’autres ruminant une vengeance qu’ils espéraient majestueuse; tout le groupe était affecté par cet échec, Castres était devenu leur plafond de verre.
On pouvait craindre un blocage contre cette équipe si on la retrouvait lors de joutes futures, une barrière psychologique qui se dresse depuis les gorges du Tarn.

Pourtant, tout était loin d’être négatif : l’équipe s’était classée parmi les 8 meilleures de sa catégorie au niveau national, le duo d’entraîneurs avait trouvé son fonctionnement, le groupe était réceptif à tout, demandeur toujours de plus, de plus d’entraînements, de plus d’investissement, de plus de résultats…
C’était le terreau parfait pour faire naître une belle espérance et de merveilleux souvenirs pour plus tard.

Aviron Bayonnais Rugby Formation Formation Bts Ndrc Mco Fibale 3

2 – 1 + 1 = 3.

À la fin de la saison, tous les joueurs furent reçus individuellement pour faire le bilan de la saison, expliquer les + et les – et se projeter sur la saison à venir.

Des entretiens sans langue de bois, en totale transparence, où les joueurs donnèrent leurs ressentis et leurs ambitions sans aucune censure.
Le staff ne cache pas ses objectifs à venir et donne à chaque joueur sa feuille de retour pour la prochaine saison. À chacun d’eux d’y souscrire ou d’en modifier le destin s’ils n’en étaient pas satisfaits.
Pour cette nouvelle saison en cadets Alamercery, le duo d’entraîneurs va accueillir en son sein un entraîneur stagiaire mais au bagage très professionnel : Jean Monribot.
L’ancien joueur et capitaine de l’équipe pro des bleus et blancs est en train de passer son diplôme d’entraîneur et, comme un salarié en alternance, il doit ajouter de la pratique à ses heures de cours théoriques.

La greffe avec le duo en place prend en parfaite harmonie, et le 1 (un duo) + 1 (entraîneur stagiaire) donne naissance à une parfaite entente entre les 3, chacun remplissant le rôle qui lui était assigné, créant la complémentarité qui permet d’avancer mieux et plus vite.
Sébastien fut le penseur, celui qui définit le cadre de jeu dans lequel ses deux acolytes viennent apporter leurs écots personnels.
Bruno s’occupait plus particulièrement de la mêlée, Jean, lui, se réserva le domaine de la touche.

5 nouveaux joueurs, dont Laher, Dealle-Faquez et Martin-Bonnard, sont venus se rajouter au groupe déjà existant.
Corollairement, des joueurs ont dû le quitter pour cause de concurrence de plus en plus élevée et de la limite de joueurs autorisés par la réglementation fédérale.
C’est toujours un crève-cœur de voir partir en cours de route des potes d’enfance pour cause d’élitisme exacerbé, mais c’est la règle du jeu et les jeunes joueurs ont déjà intégré cette donnée à leur évolution, plus facilement que certains parents plutôt agacés par ces choix toujours arbitraires et discrétionnaires.

Le club a intégré dès la rentrée, dans la chaleur de l’été, un préparateur physique dédié à la catégorie Alamercery.
Tous les joueurs adhèrent à cette préparation et passent un cap, la confiance monte en flèche, les routines de chacun sont quotidiennes et personne ne se risquerait à les troubler.
Les entraîneurs font répéter les taches jusqu’à leur complète assimilation.
Les rapports sont fluides, l’ancrage est naturel, tout le monde est là pour la même chose, pas un joueur ne rechigne aux efforts demandés.
L’osmose entre les coachs est déjà au plus que parfait et la bonne entente qui règne entre eux permet une meilleure connaissance des joueurs.
La remise en question est permanente, l’exigence est la règle d’or du trio et tous les joueurs la réclament.
La solidarité entre joueurs est intangible, il existe une forte camaraderie entre eux et le groupe est avide de travail avec l’envie de toujours apprendre.
La peur de mal faire n’existe pas, tu peux te rater 9 fois, tu recommences une dixième fois et ça passe.
Il y avait une telle volonté de bien faire que les entraînements furent plus durs que les matchs.
Les entraîneurs s’appuient sur un socle solide de joueurs de talent qui permet aux leaders d’émerger et s’affirmer : Texier, Lahitéte, Mendiboure, Daguerre, Idiart, Bourges-Handy, Laher, Dealle-Faquez.

C’est tout le groupe qui s’approprie le cadre de jeu, dont Etcheverry et Daguerre, les deux joueurs de la charnière, en sont les garants.
L’approche est élitiste, mais elle se fait dans un contexte harmonieux en laissant à chacun le temps de l’assimiler.
C’est comme une chanson de Brel, une valse à mille temps sans tempo préétabli.
Le mantra de cette équipe est un truc à eux qui ressemble à peu près à : Y’a personne qui est meilleur que moi !!
Des joueurs acceptent des changements de postes pour eux, pour l’équipe, sans rechigner et avec gourmandise, tel Dye qui passera de centre à pilier gauche, il a juste enlevé le 1 à son numéro pour ne garder que le 3.
Cette équipe, dans tous ses matchs, toute la saison, a refusé de subir, elle a toujours voulu imposer son leadership.

Sébastien et Bruno savaient que l’arrivée de Jean allait apporter le petit plus qui fait la différence et mettre le doigt sur une somme de détails venus du monde pro, qui leur ferait gagner du temps… et surtout des matchs, ceux qui comptent plus que les autres, particulièrement.
Le groupe avait des certitudes, il fallait les renforcer et en faire une force indestructible.
Il fallait marquer l’adversaire, tenir le ballon, lui faire mal à chaque impact, le toucher moralement sur chaque temps fort.

Les leaders ne paniquaient jamais, même menés à la mi-temps, ils savaient qu’ils avaient les qualités pour revenir au score et battre largement leur adversaire.
La défaite n’était pas référencée dans leur ADN ; ils ne peuvent pas perdre !!!
Le plaisir d’être ensemble, leur amour du rugby décuplaient leurs forces et leur désir inextinguible de victoires.
Comme le disait si joliment Mark Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. »
Alors ils ont travaillé, Bruno et la mêlée, Jean et la touche, Seb et le pied.
Idiard, peut-être le plus gros bosseur de tous et passionné de rugby, a travaillé son jeu au pied, placé ou de déplacement, hors des entrainements, sur son temps libre, dans un stade de village tout au bord de la chambre de ses rêves.
Après chaque match, tous ensemble, staff et joueurs, ils ont débriefé les prestations du collectif et les performances individuelles.
Ils ont usé et abusé de la vidéo, pour toujours s’améliorer et trouver les meilleures remédiations aux lacunes observées ou les postures adéquates aux manques constatés.
Le système de jeu est disséqué pour que chacun le connaisse sur le bout des crampons.
La gestuelle est travaillée à chaque entrainement, toujours tendre vers le mieux, les limites doivent être des inconnues au carré.

Tout se structure au fil des mois, les planètes s’alignent, il n’y a pas de soubresauts. Même ceux qui ne jouent presque pas sont présents à tous les entrainements.

Et si parfois, les fameux impondérables viennent présenter leurs factures, les entraineurs prennent leurs téléphones pour tenter de réparer les maux de la vie. Même si ce ne sont que des mots, ils permettent d’aplanir les contretemps et de continuer la belle histoire.
Les dirigeants, eux, sont toujours là pour redonner le sourire, préparer un repas chaud et réconforter les âmes en peine ou les cœurs en jachère.
De par ses relations, Jean a été à la base de la création d’un projet touche avec l’apport de certains joueurs professionnels, Giudicelli par exemple.
Travail de pied, amélioration du bloc saut, il fallait réduire la part de hasard, l’abaisser à sa portion congrue.

Seb est venu sur son temps libre travailler avec ses buteurs, amenant ses deux serial-buteurs (Idiart et Bourges-Handy) à 90 % de réussite.

Bruno fut la courroie de transmission du trio, le facilitateur d’émotions, le confident et le docteur Pack de sa mêlée qu’il veut souveraine, il ne compte pas les heures à faire et à refaire ce qu’il avait mis tant de temps à imaginer et à construire.

C’est sûrement là le secret de cette troïka du succès et de cette invincibilité si rare.

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3 – La consécration

Avant la finale contre Brive, il y eut une saison à faire, découpée en 3 phases bien distinctes :

  • Une 1ère phase qualificative d’un niveau faible à part les oppositions contre Pau et Agen
  • 2ème phase qualificative au niveau plus relevé et la sensation d’avoir trouvé une maturité tactique.
  • Les matchs éliminatoires où tu prends conscience que tu vas aller au bout.

Si on rentre un peu plus dans le détail de ces 3 phases, on mettra en exergue, lors de la 1ère phase, la nette victoire contre Pau, alors que 3 mois plus tôt, en Gauderman, tu avais perdu de 30 points.
Tu sais, maintenant, que ton groupe a progressé au contraire de celui de Pau qui est resté sur les standards de l’année précédente.
On va retrouver les Béarnais au cours de la seconde phase, lors d’un match au stade du Hameau et une éclatante victoire au score sans appel de 54 à 0.
Ce n’est plus un simple écart qui sépare ces deux équipes, c’est un gouffre et une récompense du travail effectué pendant toute cette saison où tu as un taux de 100 % de réussite en touche sur tes lancers et d’innombrables prises de balles en contre sur les lancers adverses.

Arrivent, enfin, les phases finales avec, en premier lieu, le grand Stade Toulousain en quart de finale. 
Même pas peur, cette équipe ne craint rien, elle triomphe d’un point après un match extraordinaire pour Jean Monribot qui a vu ses joueurs défendre comme des morts de faim sur leur ligne d’en-but pendant 10 longues minutes.
Toulouse était sûrement meilleur au niveau du jeu collectif, mais cela n’a pas suffi pour vaincre la volonté colossale de cette équipe Bayonnaise qui, on le sait, ne doute jamais. 
En demi, les Bayonnais retrouvent leur tombeur de la saison précédente, Castres.
Les entraîneurs eurent l’impression que le groupe faisait un blocage devant l’équipe tarnaise. 
Jean Monribot, qui ne les avait pas affrontés l’année précédente, va se charger de démythifier la bête noire des bleus. 
Les joueurs vont faire le reste et exploser le plafond de verre de l’appréhension, l’un d’entre eux va même mettre en fond d’écran de son téléphone un joueur castrais pour être sûr de bien le coffrer sur son premier, deuxième ou troisième plaquage, et ainsi de suite jusqu’à l’écœurer de demander le ballon. 
La victoire est sans appel : 30 à 6 !!
Que la vengeance est douce quand on a la satisfaction du devoir bien fait et qu’on commence à voir la lumière du Graal.
La finale contre Brive et ses colosses se gagne sur une foule de détails, sur une conquête en touche 4 XL, sur des buteurs fidèles à leurs statistiques et surtout sur une volonté sans faille ainsi que la certitude d’être, à la fin, les plus forts, ceux que rien ne pourrait empêcher de gagner et remporter ce bouclier, 12 ans après ceux-là mêmes remportés par les cadets Gauderman et les juniors Reichel en 2012. 
Un titre, c’est pour la vie, un bouclier pour toujours, un souvenir qui ne flétrira jamais, le conte d’une belle bande d’ados qui n’a pas encore mis le mot « Fin » à l’histoire de son aventure, gardant tout au fond de ses gènes victorieux la certitude que tout peut recommencer et continuer… 


Ils étaient les invincibles, ils le sont sûrement pour toujours, et quand le gris du temps parsèmera leur chevelure plus ou moins éparse, ils se souviendront de ces temps heureux et de cette union qui faisait leur force autour de trois hommes qui ont cru en eux et leurs ont donné les armes pour gagner le challenge qu’ils s’étaient fixé, comme un serment à leur envie commune.

TEXTE : Pierre NAVARRON

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