Le dernier ballon...
Le public n’a vraiment laissé éclater sa joie qu’au coup de sifflet final, quand Tual Trainini a définitivement clôturé le match, sans renvoyer les deux équipes directement au vestiaire, leur laissant le droit de partager la joie de la victoire ou l’amertume d’une défaite avec leurs supporters respectifs.
Contrairement aux espérances de certains médias qui espéraient le soufre et la polémique entre deux clubs s’opposant sur fond de transfert aux confins de la légalité et de la transparence, on a assisté à un vrai beau match de rugby, avec du jeu, du suspense, de l’émotion, du chambrage, plus ou moins sympa suivant le camp que l’on supporte, un chassé-croisé aux multiples rebondissements, un magnifique vainqueur et un valeureux vaincu qui auraient pu inverser leurs rôles respectifs sans qu’il n’y ait rien à redire.
Dans les derniers instants de ce match, juste après la pénalité de l’inévitable Lucu à la 79ᵉ minute, il y a ce dernier ballon à jouer, ces 80 mètres à remonter pour les joueurs au maillot grenat ou à défendre pour des Bayonnais ne voulant rien lâcher dans le sillage de Tuilagi, découpeur en chef au rayon boucher-charcutier.
Les joueurs de l’UBB vont tenter un truc à la toulousaine, un machin à inventer où l’espace s’ouvre par la magie de la justesse et de la précision de passes au cordeau laissant aux cannes faire le reste.
Ils vont balayer le terrain de droite à gauche, revenir au point de départ, avancer de 3 pas et reculer de 5 pour finalement se faire bloquer et commettre la faute fatale qui donne la victoire à son adversaire du jour.
Les joueurs bayonnais pouvaient souffler et son public, enfin, exulter.
Hegoak a retenti dans les travées archi-bondées : les spectateurs n’avaient pas envie de partir, voulant encore partager ces instants où l’adrénaline est un flux bouillonnant et la victoire sa juste récompense.
Le résumé du match était dans les yeux de tous les commentateurs de ce « derby élargi », en bas des tribunes en partageant une bière, dans les pas de quidams qui partaient fêter leur joie dans des rues bayonnaises où les bradeurs attendaient leurs chalands.
Tous revenaient sur cette entame de feu d’un pack bayonnais regroupé autour de Moon et mettant sur son derrière son vis-à-vis pas vraiment prêt pour un tel coup d’envoi.
Les trois premiers points de Lopez, vite suivis par un superbe essai, initié par un minot venu de Bidart, passé par l’ennemi héréditaire le BO et qui signe à Dauger sa première titularisation en pro. On ne saurait mieux commencer.
Depoortère, grand comme le centre international qu’il doit être, marque l’essai qui conclut la belle action de son partenaire au nom très local, Echegaray.
L’UBB prend 5 points d’avance (3-8), mais sa conquête souffre, sa mêlée est concassée, sa touche bégaie et, dans la fameuse bataille des rucks, ses joueurs sont à la peine.
Erbirnartegaray prend un jaune, peu importe, Bayonne continue sa marche en avant, les bordelais se reposent sur la longueur au pied d’Echegaray, décidément très en verve, pour éloigner le danger made in Euskadi.
On revoit en technicolor cette valise de Bruni en débordement, première flèche de Rodrigo Bruni, le gaucho sans peur et sans reproche.
Après une deuxième pénalité de Lopez, Rouet va marquer un essai suite à une valise monumentale de Bruni, mis sur orbite par une passe idéale d’Habbel-Kuffner dans l’espace ménagé; il va cadrer, déborder, accélérer, Daniel Herrero en aurait fait un héros de l’Antiquité et Blondin un Boniface de la pampa.
Depoortère l’arrête juste devant la ligne d’en-but, Rouet est le premier au soutien, Guillaume ne voit plus que la ligne d’essai et le ballon à déposer derrière.
Il ramasse la gonfle, il plonge pour marquer, GHK aux fesses, il est inarrêtable, Lopez transforme, Bayonne reprend le score (13-8).
Bordeaux-Bègles est privé de ballon, toujours en grande difficulté dans les phases de conquête.
L’arbitre trouve, dans le public débonnaire de Jean Dauger, un allié visuel et forcément objectif pour l’aider à trouver le coupable des fautes récurrentes de la mêlée girondine.
Le nom de Boniface est clamé sur l’air des lampions par tout un stade amusé de son chambrage envers un de ses anciens protégés.
Yannick Bru a compris le message et anticipe le carton jaune qui allait sanctionner son joueur en le sortant et le remplace par Poirot.
Juste avant la mi-temps, Lopez passe une nouvelle pénalité (16-8).
Dès le début du second acte, on s’aperçoit que les Girondins défendent plus haut et plus fort.
Bruni, Moon, Paulos, Tagi tabassent toujours aussi fort et l’UBB se met à la faute. Lopez a la possibilité de passer son équipe à +11.
Raté, et là, dans un enchaînement de faits qu’on ne trouve que dans le sport, la maîtrise du match va changer de camp.
Une passe hasardeuse mais normalement gagnante interceptée, un en-avant sans pression et tout bascule.
Lucu trouve l’ouverture dans un retour intérieur près d’un ruck, toute son équipe s’engouffre dans cet appel d’air salvateur et c’est Echégaray qui marque ; son rêve éveillé continue encore et toujours (16-16).
Sur la lancée, toujours sur le même schéma, c’est Matiu qui va conclure une belle valise de Depoortère et un relais de Gazzotti. Carbery transforme (16-23).
Le vent souffle de face, Bayonne fait le dos rond attendant la fin de son temps faible et ce sont ses leaders qui vont lui faire sortir la tête de la nasse.
Tuilagi caramélise Lamothe et, dans la minute suivante, c’est le Bayard Bayonnais qui marque son essai.
Rodrigo Bruni, meilleur joueur de ce match, dépose le ballon derrière la ligne, alliant la vitesse, la puissance et la force dans cette forme de sauvagerie qui la rend inégalable.
Segonds enquille et les deux équipes se retrouvent à nouveau à égalité (23-23).
Les avants bayonnais vont reprendre leur domination, le banc apporte toute sa fraîcheur, Segonds est sur un magistral 100 % (26-23).
Alors que tout le public ne semble pas avoir assimilé la nouvelle règle en vigueur pour la touche, Lucu passe une pénalité (26-26).
Erbi en débordement dans les 22 de l’UBB par Depoortère, touche à suivre pour les visiteurs, Sa au lancer, il se met à la faute en s’y reprenant à deux fois.
Bras cassé pour les bleus, Cassiem joue rapidement, les gros dans un jeu à une passe, jusqu’à l’en-but, et c’est Bordelai, comme un symbole homonyme, qui marque le troisième essai bleu (33-26).
Les Bayonnais vont continuer leur domination, Martin conteste tous les ballons au sol, Martocq agressif en défense, Spring balance un banana kick en toute décontraction.
Iturria désosse Lesgourgues et ce sont tous ses partenaires qui se mettent au diapason et repoussent toutes les tentatives bordelaises.
Lucu passe une pénalité sous une salve de « BO BO » venue du plus profond des âges du seul vrai derby qui existe (33-29).
Segonds lui répond en suivant et sera le héros bayonnais qui empêchera l’essai bordelais en glissant son bras sous un ballon chaud, brûlant.
L’arbitre refuse l’essai après visionnage et accorde une pénalité à Lucu, qui régale encore (36-32).
Ça devient irrespirable, vous connaissez la suite, ce dernier ballon, la tentative désespérée des Béglo-Bordelais pour remonter tout le terrain et la défense de feu des Bayonnais dans le sillage d’un Tuilagi au plus que rugueux.
La victoire est acquise, la bière est douce, le soleil brille toujours, tu restes quatrième, c’est bien les fins de match quand tu es en haut du tableau.
Samedi prochain, en prime time, c’est Toulouse, c’est quand même un beau match à jouer, sans pression, juste pour prendre du plaisir…
On en reparlera la semaine prochaine.
Texte : Pierre Navarron